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Nous ne sommes pas tous des bûcherons américains !

Sylvie Héas
Sylvie Héas
Directrice générale adjointe
Nous ne sommes pas tous des bûcherons américains !
Se raconter par l’image, vaste sujet pour une entreprise. Souvent submergée par la production de contenu, le recours aux banques d’images reste une facilité. Au risque d’y perdre la mémoire.

Prêtons-nous à un petit jeu. Prenons un rapport annuel, une plaquette corporate et un site et repérons une image. Tiens, par exemple, celle de la réunion. Bureaux modernes, belle lumière, vue sur des gratte-ciels (américains), personnages habillés aux derniers standards de la mode internationale business (beaucoup de gris et de blanc), et avec soin toutes les cases de la diverstité sont cochées. Vous avez l’image ? Bien.

Maintenant amusez-vous à la retrouver dans d’autres publications et lisez les légendes (quand il y en a ) qui se rapportent à cette photo. Elles n’auront sans doute rien à voir les unes avec les autres mais l’image, elle, restera la même. Vous allez me dire que grâce aux agences photos et leur tarifs cassés voire gratuits vous pouvez illustrer un grand nombre de contenus à faible coût, quand par ailleurs la production devient exponentielle et que vous ne pouvez pas réaliser toute l’iconographie. Questions de budget, de temps de production, de coordination, de droits, etc.

Certes. Mais posons-nous un petit peu pour réfléchir à la trace que nous voulons laisser quand on est une entreprise. Devons-nous perdre la mémoire pour une question de budget ? Décider de tout uniformiser pour une question de temps ? Le temps. Parlons-en justement. Depuis toujours les Humains ont voulu conserver des traces de leur présent. De Lascau aux peintres de la Renaissance et à toutes les écoles derrière eux, nous avons raconté ce que nous vivions. À l’arrivée de la photographie, nous avons pu capturer l’instant, témoigner du présent et le garder en mémoire.

Retrouvons la mémoire, photographions la vie de l’entreprise, comme nous le faisons sans cesse dans nos vies.

Aujourd’hui, Instagram – pour ne citer que ce réseau social –  compte 1 milliard d’utilisateurs actifs. Plus de 95 millions de photos y sont téléchargées chaque jour et 40 milliards de photos sont partagées. Nous baignons dans un monde d’images et beaucoup d’entreprises se privent de cette mémoire vive en puisant dans celle des autres, si loin de leur culture. Vous trouvez ça normal ?

Courage, photographions !

Depuis une dizaine d’années, nous constatons que les archives de beaucoup d’entreprises sont exsangues en termes d’iconographie propriétaire. Moins de photos, des images conservées dans des formats numériques illisibles désormais, des archives mal gérées. Quand il est question de rassembler les éléments pour en faire le récit, il est souvent complexe de s’appuyer sur des photothèques dignes de ce nom.

Retrouvons la mémoire, photographions la vie de l’entreprise, comme nous le faisons sans cesse dans nos vies. Luttons contre l’uniformisation des images, tout autant que celle de la pensée.
Nous le savons. Quand nous réalisons des reportages dans les sites des entreprises, nous découvrons à quel point les collaborateurs sont fiers de partager les lieux qu’ils fréquentent au quotidien. Il existe des tas de façons d’incarner l’entreprise en images, de montrer son activité, de valoriser ses collaborateurs. Certaines font le choix de ne jamais recourir aux banques d’images et de travailler avec un photographe. Ensemble, ils créent un univers, construisent un récit unique, installent un ton qui devient au fil du temps le marqueur du récit de l’entreprise, son style, son âme. D’autres créent chaque année une thématique avec un grand nom de la photographie et se donnent les moyens de produire une communication originale qui donnera le ton au corporate avec l’appui des collaborateurs. Enfin il existe des entreprises qui vont même jusqu’à imaginer des Fondations dédiées à la photographie qui allient les professionnels reconnus et les jeunes pousses de demain. Preuve que la photographie demeure un média universel et qualitatif. D’autres encore proposent des masters class photo à leurs collaborateurs.

Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui nous sommes tous capables de produire des images que nous sommes capables de faire des photos…

Travailler avec un(e) photographe professionnel(le), c’est choisir un regard et un talent. C’est parfois même donner sa chance à un(e) jeune professionnel(le) qui peut ensuite faire valoir son travail pour d’autres. Donner un coup de pouce au talent, c’est toujours gratifiant.  Ils-elles sont nombreux à bien connaître le monde de l’entreprise et à s’adapter aux contraintes inhérentes à ce type d’exercice.  Ne nous trompons pas. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui nous sommes tous en capacité de produire des images avec nos portables que nous sommes capables de faire des photos…

Le budget est souvent évoqué pour ne pas recourir aux services d’un(e) photographe. Un mauvais calcul. Tout d’abord, toutes les images ne sont pas gratuites même en banques d’images et les droits d’utilisation non plus. Les photographes en revanche aménagent leurs tarifs, y compris sur les droits d’utilisation, afin de consolider leur lien avec l’entreprise. C’est un système gagnant-gagnant. La question du temps de la coordination des prises de vues passe pour un frein. C’est un argument qui ne résiste pas à l’enjeu de créer la mémoire de l’entreprise. Le temps de production s’il est inclus dans la charge de travail de la communication n’est pas  surnuméraire.

Ne soyons pas frileux et réhabilitons la photographie en entreprise.

En France, selon une étude de 2015 réalisée par le ministère de la Culture (il n’en existe pas de plus récente), on dénombrait 25 000 photographes professionnels. Leur nombre a diminué ces dernières années et le métier se paupérise. Il existe de petites agences photo qui regroupent des photographes de talent, pas seulement à Paris mais aussi en région, et des photographes indépendants qui cherchent à exercer leur métier.  Soyons cohérents, nous avons besoin de nous rapprocher. Mais pas n’importe comment. Comme tous les projets au long court, l’iconographie de l’entreprise doit être pensée en amont et être incluse dans le plan de communication et suivie régulièrement au sein d’une photothèque organisée. Et bien entendu, associons les photographes au projet dès le début. 

La photographie est l’art de l’instant, elle capte les pulsations de la vie et du monde… et la vie des entreprises également. Quand nous regardons des photographies d’anciennes installations industrielles, nous mesurons nos progrès en innovation. Quand nous feuilletons d’anciens journaux internes, nous constatons l’évolution de nos conditions de travail. Pour une entreprise, utiliser des images préfabriquées et uniformisées, c’est perdre sa mémoire et sans mémoire comment avancer ? 

Vous l’avez compris, je suis une militante de la photographie. Il me semble important dans les temps troublés de soutenir les photographes dans leur travail essentiel de témoins de l’agitation du monde.

Photo by Zane Lee on Unsplash